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On parlera ici de livres, de jeux de rôle (beaucoup), d'animés, de légendes et d'Histoire, de jeux vidéo, de cinéma, de web-séries et séries TV... Asseyez-vous au coin du feu et préparez-vous pour une longue veillée au Royaume de l'Imaginaire dont vous venez de franchir les portes...

Critique roman : La Vestale du Calix (d'Anne Larue)

Anne Larue

La Vestale du Calix

(L'Atalante, 2011)

 

 

vestale.jpgQuart de couverture : Anna, une vestale consciencieuse mais émotive, est condamnée à mort pour avoir brisé un vase sacré - le fameux calix Esclarmonde. Son savant fou de maître la fait décorporer à son insu. L'expérience réussit et elle surgit indemne à une autre époque, où il perd sa trace. En l'an 4666, Anna, devenue costumière tradié chez Thomasine Couture, habite avec Ankh Delafontaine, belle blonde médiéviste, et elle monte à cheval à Etampes. Le bonheur. Elle en viendrait à se convaincre qu'elle n'a pas rejoint le monde au-delà de la mort, quand tout se complique à nouveau. Anna et Ankh sont arrêtées pour ne pas avoir assisté à un match de trimslop, puis une cavalière est assassinée. L'enquête conclut à la mort d'Anna. Entre alors en scène Holinshed, un cheval extrêmement stylé qui effectue des missions en freelance pour les humains à travers le temps...
Pour tous ceux qui aiment Paris, la fin du monde, les chevaux, le camping, Simone de Beauvoir... et un peu moins le football.

 

 

 

Gaffe, patriarcat, vient prendre ta mandale !

 

Quelques universitaires connaissent peut-être le nom d’Anne Larue pour son tristement célèbre Fiction, féminisme et postmodernité : les voies subversives du roman contemporain à grand succès. Tristement célèbre puisque connu pour être paru en 2010 dans la collection de sciences humaines des Classiques Garnier, avant d’être retiré de la vente par l’éditeur pour des raisons idéologiques. Puis, suite à une pétition lancée par des confrères chercheurs, remis dans les circuits 1, tant il avait en vérité de bien meilleures raisons d'être porté à la connaissance du public.

Son premier roman, paru l’année dernière à L’Atalante, est lui de ceux qui, au premier abord, pourraient laisser perplexe. Ça part dans tous les sens et parfois l’on pourrait croire que ça ne va nulle part. Précisément le genre qui hante le libraire : comment vendre un tel bouquin au lecteur ? À la fois aventure SF, fantasy barrée, dystopie, fable ésotérique, anticipation (donc métaphore sur notre présent), ouvrage théorique féministe, et quelque peu roman pour adolescente amoureuse des chevaux.

C’est pourtant ce qui fait la richesse de cette étonnante traversée et qui la rend nécessaire. Parce que oui, s’il s’agit d’un petit ovni, c’est qu’il faut le saisir au vol. On pense un peu à quelques fous tels que Douglas Adams (dont l’auteur parle souvent avec emphase), Kurt Vonnegut Jr ou Robert Sheckley. Mais dans une version féminine. Sensible et guerrière à la fois. Et incroyablement drôle.

En quelque sorte la mise en pratique des théories énoncées dans ses textes de chercheuse, le roman d’Anne est fortement féministe : clairement, le patriarcat y en prend pour son grade. On saura ceci dit que l’auteur n’avait pas le moins du monde prévu de faire un roman militant – c’est en tout cas ce qu’elle déclare. Mais comme on dit : chassez le naturel, il revient au galop (expression ici presque de rigueur pour un roman où la gent chevaline est à l’honneur!). C'est qu'elle ne s'était peut-être pas encore rendue compte qu'elle menait depuis, disons, toujours un combat, chez elle aussi évident et inévitable que la respiration.

La force du tout : rien n’est servi de la façon manichéiste dont le font les intégristes prêcheurs. Tout reste subtil et, plutôt que placardé en grand, glissé avec justesse dans les péripéties. Surtout, tous les élans vengeurs et jouissifs (où un personnage féminin s’en prend soudainement avec violence au méchant mâle) sont systématiquement contrebalancés par de lourds remords, et soulèvent la plupart du temps des questions plus qu’autre chose. Soulignant bien la complexité des relations humaines. Que ce soit au Moyen-âge, de nos jours, ou dans le futur.

 

En fin de compte, plus que de tabasser le mâle pour donner le pouvoir aux femmes, il me semble que le vrai féminisme cherche plutôt à rétablir une sorte d’équilibre, à rompre avec des stéréotypes figés, idiots et dans lesquels, au final, personne ne se sent à l’aise. Ainsi, l’activisme implicite du livre se joue plutôt dans les relations entre les personnages. L’auteur met en scène une société curieuse où l’on est de préférence colocataires (une question de place), où l’on doit cependant y déclarer ses préférences. Attention alors, si l’on se déclare « homosex » de bien avoir une relation de couple, au risque d’être séparés et renvoyés dans des dortoirs communs. Les deux héroïnes, Anna et Ankh, doivent donc jouer le jeu, en apparence. À l’occasion, elles se rendent dans ces lieux, sortes de maisons d’échange, où l’on couche ouvertement avec qui veut. Préférable d’ailleurs de ne pas s’y rendre en espérant une aventure avec lendemain. Entre Anna et Ankh, faussement « homosex », s’installe une étrange amitié, un amour platonique, qui semble finalement bien plus fort et solide que beaucoup de relations plus conventionnelles. Le roman entier est tissé de cette façon, glissant tout du long, de subtiles remises en question de notre société et de ce qui semble y aller de soi.

 

Drôle de bouquin, donc, où il est question de Moyen-âge (attention, celui-ci n’est pas toujours situé à l’époque qu’on croit) et de centre de recherche médiéviste, de Trimslop (une version futuriste de notre football), d’équitation et de chevaux volants ou éventuellement dorés à la feuille d’or, de voyages dans le temps, de viol, de sexualité et de genre, d’alimentation et survie en milieu hostile (si l’on réussit, on obtient son diplôme de camping)…

Il ne s’agit pas ici, comme on s’y attend dans un récit de fantasy classique, d’une quête à proprement parler. Bien qu’il y en ait une. Il ne s’agit pas de combats. Bien qu’il y ait un peu de castagne et pas mal de morts. Il ne s’agit pas d’un complot international. Bien que l’on complote dans les couloirs. Il ne s’agit pas de contrées oubliées et mystérieuses. Bien que Paris ne s’y ressemble plus tant. Il ne s’agit pas de grande gloire ni d’héroïsme victorieux. Bien que (non je ne révèle pas grand-chose) les héroïnes gagnent à la fin.

Le plus incroyable c’est qu’arrivé au bout de l’aventure, après avoir été trimballés d’un bout à l’autre du temps et dans de nombreuses intrigues parallèles ou sous-jacentes, surgit la fin (je vous répète que je n’en ai rien révélé), totalement inattendue, presque saugrenue, mais qui soudain résout tout et donne un sens au roman en entier.

Si l’on ne peut, pour les raisons susdites, prédire un grand succès commercial à cet étonnant livre, gageons qu’il trouve au moins quelques lecteurs acharnés (et donc ardents défenseurs) qui sauront lui reconnaître sa saveur toute particulière. Ainsi, l’auteur pourra-t-elle à terme – ainsi qu’elle l’a prévu, ne me demandez pas pourquoi – arriver au 17ème tome des mésaventures de sa vestale. De ce qu'on en sait, elle travaille déjà sur le deuxième tome. Affaire à suivre, donc.

 

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1 On saura, que l’auteur, assez mécontente du prix de vente de l’ouvrage (39€), envoie facilement sa version pdf à ses étudiants, préférant que son ouvrage circule.


 2 J’ai découvert récemment le personnage d’Ijon Tichy, apparaissant dans cinq livres de Stanislas Lem, et j’ai, de plus en plus l’impression, qu’étonnamment,  les œuvres humoristiques contiennent parfois beaucoup plus de choses importantes, en tant que discours philosophiques, que beaucoup d’autres ouvrages très sérieux.


La note : 18 / 20

                                       


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